Dans ce libellé : Amis, épicuriens, artisans et grands amateurs, j’ai fait appel à mon amie Céline.
C’est sur un groupe Facebook d’amateurs de cigares que j’ai fait sa connaissance, de suite le courant est bien passé et c’est pourquoi j’ai décidé de lui consacrer un article qui s’achèvera par une nouvelle qu’elle a écrite spécialement pour le blog et je l’en remercie.
Questions/ réponses
1.
Comme artisan, peux-tu me parler brièvement de ton
métier, que fais-tu au juste ?
Je suis
écrivain. J’écris des nouvelles pour des revues ainsi que des romans.
2.
Comment t’es venue l’idée de fumer le cigare et depuis
quand ?
Je fume le
cigare depuis 2010, c’est un ami photographe qui m’a fait découvrir l’effet
antalgique du cigare sur les migraines. Comme j’ai des soucis visuels et que je
passe beaucoup de temps à écrire, je suis sujette à des douleurs lancinantes;
mais en fumant une vitole accompagnée d’un café ou d’un thé, le mal est vite
enrayé. On retrouve l’effet vasoconstricteur du café dans le cigare, cela évite
la vasodilatation occasionnée par la migraine et l’abominable douleur qui en
découle lorsque les vaisseaux se resserrent brutalement.
Par
ailleurs, par temps ensoleillé, je m’offre le plaisir d’un cigare, souvent
lorsque je lis des textes que j’affectionne ou quand je suis en présence de
passionnés comme moi.
3.
De nos jours entre les lourds, les carrément grossiers, images de femmes pulpeuses avec le cigare en bouche, il n’est pas trop
compliqué pour une femme de vivre sa passion ?
L’avis des
gens, cela me fait une belle jambe. J’aime beaucoup nager à contre-courant.
C’est tonifiant, j’ai appris à accepter mes différences.
Désormais, je les cultive.
De plus, je
ne fume pas pour me façonner une image d’artiste, c’est plutôt une habitude et
même un plaisir qui me permet d’ouvrir une parenthèse dans mon quotidien; le
temps de me délecter des différentes notes qui composent un cigare et profiter
de cet effet euphorisant qu’on retrouve sur la fin du corona.
4. Quel est ton ou quels sont tes cigares préférés ?
Sans hésiter les Toscano Vecchio. Ils sont longs et
fins, l’idéal pour une Dame. Le goût de fumé, de pain d’épice, de lavande et de
violette m’enchante, j’adore aussi la saveur de cannelle et d’herbe coupée sur
la fin.
5. En deux trois
mots comment te qualifierais tu en mariant ton travail et tes passions ?
Je suis une
femme authentique, enjouée, rêveuse et
inspirée. J’aime me fondre dans différents personnages mais ce qui fait
mon bonheur avant tout, c’est ma famille.
Mon
dernier roman, Fièvre Gitane, éditions Terriciaë, c’est l’histoire de Juanna,
une gitane secrète et mystique. Elle rencontre
Louis, un jeune prodige de la littérature qui lui apprend à lire et à
écrire dans une cabane près des plages des Saintes Maries de la Mer. S’en suit une histoire d’amour fleurant bon le voyage, parfumée au sel et poudrée de
sable. Cette idylle sera troublée par la jalousie dévastatrice de la gitane.
Le temps d’un cigare
Le
ciel bleu roi luit comme un miroir et cette surface lisse glisse sur les hautes
cimes des arbres défeuillés. Je passe sous leurs branches givrées en levant les
yeux, fasciné par les camaïeux de bleu et de rose diaprant les nuages rares qui
semblent avoir été cousus sur la voûte éthérée.
Je
dispose d’une heure de loisir avant de retourner au travail.
Mes immuables journées de labeur où je
demeurais enfermé sous le joug de la hiérarchie, m’inspiraient des idées
d’évasion. Ce soleil de cuivre qui me flattait le dos au travers de la vitre
comme une invitation sensuelle à la rêverie, aux plaisirs et au voyage, était
devenu mon obsession. Contrairement au soleil d’été séjournant longtemps au
zénith en répandant sa chaleur et sa lumière dorée jusqu’au soir, ce soleil
d’hiver presque rouge s’insinuait seulement quelques heures, réchauffant plus
le cœur que le corps. Il s’éclipsait quand je quittais le bureau et ne se
levait qu’une fois que je l’avais regagné.
Aujourd’hui,
je me félicite d’avoir faussé compagnie à mes collègues pour me délecter de
cette heure buissonnière, en osmose avec la nature. Pas un souffle ne vient balayer
les feuilles mortes craquant sous mes pieds. Des odeurs de sous bois s’exhalent
de la petite forêt où je me perds à quelques mètres de mon lieu de travail.
Tout aurait été parfait si je n’avais pas ressenti le besoin de fumer, la
saveur du café que j’avais récemment siroté persistant sur mon palais,
intensifie cette envie impérieuse. J’observe les feuilles jonchant le sol et je
les imagine roulées de mes mains comme des feuilles de tabac. Je regrette déjà
ma sage résolution qui me prive d’un plaisir, une des rares jouissances
accessibles à un homme insignifiant. Pourtant, en progressant dans cette forêt,
il me semble reconnaître l’odeur du cigare.
Cette odeur se fait plus insistante à
mesure que j’avance parmi les bosquets étincelants faisant rejaillir mes
souvenirs d’escapade aux côtés d’une femme que j’avais aimée. Nous avions fui nos foyers respectifs sans prévenir personne. Nous ignorions pour combien de
temps nous partirions et si nous reviendrions. Blasés par la routine de la vie
maritale, étouffés par nos devoirs parentaux, révoltés par la bêtise de nos
supérieurs et le manque de reconnaissance de ce système où la rentabilité tue
toute créativité, nous avions pris la route ensemble, unis par la passion et le
même désir de sexe, de jeu, de romantisme et de liberté.
Nous
séjournions dans le Sud, dans un appartement au bord de la mer que nous avions
loué. Elle, c’était une artiste, elle chantait, elle écrivait et peignait. Son
regard se perdait dans la mer, fixant l’horizon ; mais lorsqu’elle me
contemplait elle se mettait à sourire, un sourire d’ange.
Ses
lèvres me fascinaient. Elles étaient charnues. Elles me procuraient mille
plaisirs, plus délicieux les uns que les autres. Ses lèvres sur les miennes,
ses lèvres gonflées serrant mon sexe, ses lèvres retenant un cigare… Fumer le
cigare l’inspirait. Chaque bouffée fluidifiait ses pensées. La nature
insondable lui livrait tous ses secrets lorsqu’elle tirait sur son cigare, la
langue imbibée de liqueur. Ses baisers éthyliques m’envoûtaient tout comme la
poésie englobant ses gestes et ses paroles. Elle m’encensait au sens propre
comme au sens figuré.
Toutes
ces blandices me troublaient, je ne savais plus qui j’étais. Elle m’enfermait
dans ses livres. Elle me déguisait en personnage de roman. J’avais l’impression
qu’elle plantait sa plume dans mon dos, tellement ce personnage qu’elle inventait
pour moi assassinait l’être sans fantaisie que j’étais.
Alors,
je suis retourné chez moi. J’ai repris le travail. J’ai retrouvé ma routine. J’existais
mais je ne vivais plus.
L’odeur
du cigare me ranime, elle m’attire, je presse le pas, persuadé que je reverrai
celle qui m’avait tant manquée et surtout sa bouche charnue peinte de rouge
fumant le corona. Elle est là. Je sens sa présence. Le cigare se marie à un
parfum de femme aux notes de violettes et de patchouli. C’est une présence réelle.
Cette femme est avec moi, elle m’accompagne dans mes pensées et dans mon cœur.
Je me dis qu’au fond cela ne me dérange pas d’être un personnage de roman. Que
je sois jeune, adulte ou vieux ; que je sois brun, blond ou châtain ;
que je sois blanc, noir ou bronzé ; que je sois vigoureux, vulnérable ou
passionné ; que je sois français, antillais ou maghrébin ; tant
qu’elle m’aime, je vis intensément. Tant pis si ses forêts sont de papier.
L’odeur du cigare flottant au dessus de son univers livresque dont je fais
partie ne cessera jamais de m’enivrer. Je sens de nouveau sa plume sur mon dos,
je suis léger, prêt à m’envoler pour une nouvelle aventure.
C'est chose rare qu'une parole de femme sur le blog d'un homme amateur de cigare ! Allusions grivoises ou condescendantes y sont le plus souvent la règle. J'ai même trouvé un blog dont le fâcheux se rengorgeait à l'idée de pouvoir enfin "se retrouver entre couilles" pour fumer le cigare... Par bonheur, le triste couillon à depuis fermé boutique, si j'ose dire! Bref.
RépondreSupprimerSoyez donc remercié pour cette belle rencontre humaine et littéraire avec Céline Mayeur. Pour les mêmes raisons qu'elle évoque, je confirme les effets bénéfiques du cigare sur maux de tête et problèmes visuels, contrairement à la cigarette qui elle, produit des résultats exactement inverses, tels nausées et accroissement de la douleur (je suis un ex-fumeur de clopes repenti). J'ai encore pu le vérifier récemment en faisant la dégustation d'un délicieux robusto H Upmann connoisseur n°1 (de juillet 2011,pub gratuite)qui m'a remis d'aplomb! Bon, en ce domaine(et d'autres), Mayas et Indiens d'Amérique du Nord ne nous ont pas attendus...
Je note les Toscano Extra Vecchio (jamais fumé ces cigares) dont la description qu'en fait Céline me met l'eau à la bouche mais également son roman "Fièvre gitane" (j'espère le trouver en France) car j'aime passionnément lire. Merci à elle pour la très jolie nouvelle qui m'a fait traverser le miroir...
Cordialement à vous !
merci de votre commentaire, oui plusieurs de mes amies fumeuses de bonne vitoles sont souvent malheureusement la proie de moqueries, voir d'insultes et pire parfois même pas prises au sérieux par les patrons de civettes
RépondreSupprimerBonjour, merci Cape, pour ce commentaire, je suis désolée de répondre avec tant de retard mais c'est mieux que rien...La maison d'édition de mon livre a hélas déposé le bilan mais on peut encore trouver quelques exemplaires sur le net. Il suffit de taper Céline Mayeur, fièvre Gitane, voilà...:) Livresquement votre
RépondreSupprimerCéline Mayeur